mercredi 14 octobre 2015

LES INTELLIGENCES MULTIPLES - (1ère partie)


L’idée que nous disposons de plusieurs formes d’intelligence est plutôt bien établie, et corroborée par les avancées des neurosciences. Le concept des « Intelligences Multiples » mis en avant par Howard Gardner, et l’engouement des entreprises pour devenir plus émotionnellement intelligente, en écho aux travaux de Daniel Goleman, donnent de plus en plus d’épaisseur à ce qui paraissait une simple théorie au début des années 80. 


Au 20ème siècle, la suprématie d’une forme d’intelligence mathématique, scientifique et logique a influencé notre matière d’évaluer le potentiel de l’homme. Elle est aussi la résultante d’un long cheminement éducatif qui a privilégié cette forme d’intelligence en lui donnant ses plus beaux atours : la réussite scolaire et les diplômes prestigieux des grandes écoles. Mais déjà une voix – celle de Jean Piaget – s’était élevée pour constater des disparités surprenantes dans les tests de QI. L’environnement dans lequel évoluait l’enfant favorisait plus ou moins ce dernier, en abstraction de son potentiel réel. La maîtrise des mots et des chiffres dans la cellule familiale avait tendance à favoriser les enfants dans leurs scores d’intelligence analytique, grâce à cette aisance. La lecture de l’intelligence linguistique proposée par Howard Gartner donne une piste d’explication intéressante : pour exploiter au mieux certaines formes d’intelligences nous aurions eu besoin d’une bonne maîtrise d’un langage verbalisé, fait de mots et de chiffres – voire de notes de musique et de visualisation à trois dimensions comme le suggère H. Gardner avec ses Intelligences Musicale et Spatiale. 

Une autre piste de réflexion a été le fruit des travaux de D. Goleman, qui s’est appuyé sur les recherches de David Mc Clelland. Ces travaux ont mis en avant une Intelligence Émotionnelle que l’on peut associer à un langage ancestral non verbalisé : l’empathie. Grâce aux neurosciences, les mises en évidence d’un réseau de neurones miroirs apportent une matérialité à l’hypothèse d’un langage ancestral hérité des tribus anciennes, et même des mammifères. Ce langage non verbalisé sous-tendrait l’expression de formes d’intelligences peu reconnues jusque récemment, dont l’Intelligence Émotionnelle. D. Goleman – en collaboration avec Richard Boyatzis et Annie McKee – a également mis en exergue l’importance de cette intelligence pour l’expression première (ou plutôt primitive) de son leadership, de sa capacité à être suivi en obtenant l’engagement autour de soi. 


LA CONTRIBUTION D’HOWARD GARDNER 

H. Gardner a développé une définition possible des intelligences : ses prérequis et ses caractéristiques et attributs en puisant dans les connaissances récentes des neurosciences, et de nombreuses bases de données. Le résultat de ses travaux révèle des formes d’intelligences peu intuitives. Tout d’abord l’Intelligence Linguistique qui est caractérisée par la maîtrise du langage, de sa syntaxe, et de sa sémantique. Une capacité développée chez l’homme dès l’utilisation de la rhétorique, dont on retrouve les traces dans l’antiquité. H. Gardner met également en avant des intelligences musicales et spatiales qui nous semblent pouvoir être des formes de perceptions « verbalisées » en complément des mots et des chiffres, voire datant même d’avant l’émergence des mots et des chiffres. 
Dans ses travaux, nous avons aussi été interpelés par sa définition de l’Intelligence Corporelle et notamment sa mise en évidence chez les primates. Mais cette existence a permis de combler un vide dans nos travaux ultérieurs sur les expressions non verbalisées, en complément du langage empathique. 
Les Intelligences Personnelles d’H. Gardner nous ont permis de travailler d’une part sur les aspects culturels des intelligences et d’autre part d’explorer le leadership dans des cultures très différentes (orientales et occidentales). Les formulations d’H. Gardner nous ont également incités à nous plonger dans la connaissance de soi et des autres, et notamment dans le processus d’individuation, en repartant des travaux de Carl Jung. 


INTELLIGENCES ET LANGAGES 

Dans nos travaux sur le leadership, la manifestation de toutes ces intelligences s’est peu à peu révélée comme une composante essentielle de notre prisme d’expression. Nous avons pris le parti de traiter les Intelligences Linguistiques, Musicales, Spatiales comme une famille d’aptitudes à des expressions verbalisées. Le sens de verbalisation est surtout la capacité à exprimer ses impressions, ses convictions et ses croyances à autrui ; une sorte de tronc commun ancestral sur lequel une certaine famille d’Intelligences peut s’exprimer et se développer – notamment l’Intelligence Analytique.
Un autre parti pris a été de faire la même démarche en traitant l’empathie comme un autre langage ancestral non verbalisé qui sous-tend l’expression de l’Intelligence Émotionnelle définie par D. Goleman.


Notre modèle d’intelligences multiples, ainsi que son application au leadership, reposent donc sur deux langages ancestraux : 
  • Le premier, verbalisé, utilise les symboles comme les mots, chiffres et autres représentations multidimensionnelles dans l’espace, pour permettre d’exprimer deux familles d’intelligences : analytiques et pratiques (ou expérimentales).
  • Le second, non verbalisé, correspond à l’empathie mise en évidence par les neurosciences et qui permet d’exprimer deux autres familles d’intelligences : émotionnelles et sociales (ou sensibles).

Et l’émergence de ce spectre d’intelligences multiples – clé de la formulation ou de l’expression de son leadership au travers de postures – permet de faire le lien entre deux concepts qui nous semblent encapsuler le leadership en action : 
  • La compréhension du prisme de traduction de nos convictions en postures observables de leadership (voir notre article sur les roues de la posture); 
  • La pertinence du leadership de chaque leader en écho de son individuation professionnelle (objet de la suite de cet article). 

La seconde partie de cet article détaillera un peu plus ces familles d’intelligences en action.



Auteurs : Patrick Buffet & Xavier Baudard
 

lundi 9 mars 2015

L’EMPATHIE EN ENTREPRISE : FAIBLESSE OU FORMIDABLE POTENTIEL DU LEADER ?



Au fil des ans, différentes formes d’intelligence ont été reconnues et validées par les psychologues et les neuroscientifiques.
Après l’intelligence analytique qui a fait la gloire du fameux QI, et après l’intelligence pratique, qui a permis de comprendre tout le talent des artisans ou tous les savoir-faire issus de l’expérience, c’est maintenant à l’intelligence émotionnelle d’être sur le devant de la scène.
Elle est en effet très à la mode dans les grands groupes anglo-saxons grâce au travail exhaustif de Daniel Goleman qui a médiatisé la pensée de David Mc Clelland et est devenu le pionnier de la définition du cerveau émotionnel.
Pour reprendre, en la déformant, une parabole de Gandhi : « L’intelligence (analytique) rapproche les solutions des problèmes, l’(intelligence) émotionnelle déplace les montagnes ». Donc pas étonnant que les chercheurs en neurosciences qui ont mis en évidence les neurones « miroirs » comme véhicule de ce langage non verbalisé qu’est l’empathie les aient surnommés les « neurones Gandhi ».

Avons-nous effectivement deux cerveaux, comme le laisseraient supposer certaines observations sur la préséance de l’amygdale cérébrale sur le cortex dans certaines réactions émotionnellement fortes ? Avons-nous un cerveau analytique (et pratique) coexistant avec un cerveau émotionnel, ce dernier stockant dans un inconscient collectif ou individuel les langages réflexes hérités de la survie dans les sociétés primitives d’une part (comme la peur), et la prégnance de souvenirs émotionnels prêts à ressurgir ?



 
L’empathie 

Explorons quelque peu ce langage primitif qu’est l’empathie, dénominateur commun de nos intelligences émotionnelles et sociales.
L’empathie reste un sujet de débat entre les tenants d’une capacité qui peut se mesurer et les tenants d’un langage hérité des sociétés primitives – notre préférence, tant elle nous semble influencer la capacité des dirigeants à enrôler leurs équipes.

Au travers des mécanismes de l’empathie, de manière théorique, et ensuite avec le support récent des neurosciences de chercheurs tels que Giacomo Rizzolatti, nous pouvons deviner le rôle des formes de langages de l’empathie dans les postures du dirigeant. Ce langage intervient dans un premier temps dans l’émergence et dans la maîtrise de son intelligence émotionnelle, avant de se généraliser dans son intelligence sociale.

L’empathie est une langue très ancienne – donc non verbalisée - enfouie dans notre subconscient collectif. Elle nous permet principalement d’apprendre des autres et de se faire une représentation plus ou moins fiable de ce qu’ils pensent et ressentent.
S’appuyant sur les travaux de Theodor Lipps et de chercheurs anthropologues, Jean-Claude Almeisen propose une excellente « démocratisation » de l’empathie « scientifique ».

Le premier niveau du langage d’empathie (observable chez les animaux) est la capacité à interpréter un état émotionnel ou physique de l’autre en observant son corps.

Le second niveau (observable chez certains mammifères et héritage de la relation mère-enfant) est l’envie d’aider, qui se traduit dans des postures observables. C’est le passage classique de l’empathie à la sympathie.

Le troisième niveau (observable chez les primates et les humains) est la construction mentale de savoir comment aider l’autre en se représentant la situation de l’autre d’une manière pertinente, et en sachant articuler des solutions sur la base de ses propres analogies et inférences. C’est cette dimension qui nous permet probablement de développer un très bon jugement sur les autres.

La combinaison de ces trois niveaux de langage nous ouvre une fenêtre sur l’image des perceptions et des intentions des autres. 


Pas de confiance à l’intérieur de l’entreprise sans empathie 

En se référant à notre article sur la confiance (La Confiance en Entreprise, une Affaire de Leadership), 2 des 4 conditions de l’émergence durable de la confiance en entreprise sont assujetties à la pratique de l’empathie :
  • Avoir le sentiment, le ressenti, d’avoir été entendu et compris
  • Travailler dans un climat social serein (et challengeant), propice à la collaboration (pour la réussite de l’entreprise) 
La capacité à suivre un leader est intimement liée à nos perceptions de la confiance que nous inspire ce leader. Il n’est pas envisageable de suivre un leader, de prendre des risques, de libérer toute son énergie, sans un minimum de confiance en son leader. De son côté, un leader ne pourra conceptualiser et « sentir » cette confiance sans faire appel à son langage empathique ou faire appel à ce qu’Howard Gardner appelle son intelligence intra-personnelle.

Un leader qui a su développer sa pratique de l’empathie démontre deux familles de postures très reconnaissables :
  • Une capacité hors pair à donner un retour sincère et profond (positif et négatif), donc de développer des leaders exceptionnels autour de lui 
  •  Une valorisation de la diversité en général qui lui permet de « voir » les choses du point de vue de l’autre, de promouvoir la coopération et la prise de risque

L’empathie n’est jamais un aveu de faiblesse, mais un levier de surperformance extraordinaire 

La capacité d’un dirigeant à maîtriser son langage empathique ne s’improvise pas. C’est avant tout de la pratique. Mais, une fois maîtrisée, quelle force !
La sérénité dégagée, l’engagement suscité, le climat de confiance développé sont les résultantes de notre empathie dans la pratique de notre intelligence émotionnelle.
L’influence que nous avons sur des équipes, notre sensibilité à capter les non-dits ou des risques non identifiés, et aussi bien sûr notre facilité à créer des collaborations, ce sont également des résultantes de notre empathie dans la pratique de notre intelligence sociale.

Travailler son empathie, et donc son intelligence émotionnelle, est indispensable pour tout leader s’il veut pouvoir jouer sur toutes les dimensions du leadership. Et d’autant plus de nos jours, avec les nouvelles générations. Comment réussir pour le bien-être de tous (hommes et entreprises) sans une forte dose d’empathie ? « Essayez l’autorité ! » seraient tentés de dire certains, se référant à d’archaïques schémas…



Auteurs : Patrick Buffet & Xavier Baudard

mercredi 11 février 2015

« LEADERSHIP DE COMMANDO », OU QUAND LE MANAGEMENT VIENT EN RENFORT DU LEADERSHIP



Le « leadership de commando » est la dénomination que l’on pourrait donner au leadership exercé avec une petite équipe, cas que l’on retrouve chez un dirigeant de TPE ou de petite PME.  On explorera aussi le cas des petites équipes ou des petites filiales autonomes d’un grand groupe ; car elles présentent beaucoup de similitudes avec les PME, en termes de leadership.

La dénomination de « leadership de commando » est très spécifique, due au fait que ce type de leadership s’exprime différemment de celui qu’on exerce à la tête de grandes structures. A tel point que l’on peut être un bon leader de commando et un piètre leader de grandes structures.


Lorsqu’il dirige des équipes de tailles conséquentes (plusieurs niveaux hiérarchiques par exemple), un dirigeant n’exerce normalement son management qu’avec sa garde rapprochée (sauf à faire du micro-management, ce qui est de l’anti-leadership par excellence). Et plus l’on s’éloigne de lui dans l’organigramme, plus son image de manager s’amoindrit, et plus les gens ne regardent et ne perçoivent que son rôle de leader. Donc plus son leadership se doit d’être prégnant et efficace, car le dirigeant, lointain au quotidien, ne pourra pas compenser ses imperfections de leadership par la qualité de son management. Or beaucoup de dirigeants, parce qu’ils ont été formés au management et maîtrisent ce rôle mieux que celui de leader, ont tendance à penser qu’être un bon manager leur donne une aura suffisante de leader. Mais ce n’est pas le cas. A la tête d’une grande structure, un dirigeant est regardé par l’ensemble de ses collaborateurs sous l’angle du leader et non du manager.

Sur une petite équipe en revanche, le dirigeant est dans un rôle de leader, mais aussi de manager, du fait de la proximité avec ses équipes. Il peut donc, suivant les situations, être davantage manager que leader, ou l’inverse (mais le premier cas est en général plus simple et plus fréquent), et ainsi combler les imperfections d’un de ses rôles grâce à l’autre. Mais si c’est un bon manager, le risque est qu’il ne travaille pas suffisamment son leadership, se camouflant, sans en avoir conscience, derrière son management. Ce qui peut être un vrai piège si, repéré par quelque chasseur de têtes ou DRH pour ses performances actuelles, il dirige demain une grande structure.

Passer de la direction d’une équipe de petite taille à une équipe de grande taille nécessite donc d’amplifier son rôle de leader au « détriment » de celui de manager. Ceci implique d’aligner clairement ses convictions et ses postures (cf. article correspondant : Le Véritable Leader, un Cristal Pur) et de réussir ses métamorphoses de manager (article correspondant : Du Manager au Leader, 8 Métamorphoses d’une TransformationEssentielle). 
A l’inverse, passer à une petite équipe après en avoir dirigé de grandes nécessite de renforcer son rôle de manager, du fait de la proximité avec ses collaborateurs, sans pour autant édulcorer son leadership. Mais travailler son management étant généralement plus simple que son leadership, cette évolution est souvent plus aisée.


 

Auteurs : Xavier Baudard & Patrick Buffet