lundi 9 mars 2015

L’EMPATHIE EN ENTREPRISE : FAIBLESSE OU FORMIDABLE POTENTIEL DU LEADER ?



Au fil des ans, différentes formes d’intelligence ont été reconnues et validées par les psychologues et les neuroscientifiques.
Après l’intelligence analytique qui a fait la gloire du fameux QI, et après l’intelligence pratique, qui a permis de comprendre tout le talent des artisans ou tous les savoir-faire issus de l’expérience, c’est maintenant à l’intelligence émotionnelle d’être sur le devant de la scène.
Elle est en effet très à la mode dans les grands groupes anglo-saxons grâce au travail exhaustif de Daniel Goleman qui a médiatisé la pensée de David Mc Clelland et est devenu le pionnier de la définition du cerveau émotionnel.
Pour reprendre, en la déformant, une parabole de Gandhi : « L’intelligence (analytique) rapproche les solutions des problèmes, l’(intelligence) émotionnelle déplace les montagnes ». Donc pas étonnant que les chercheurs en neurosciences qui ont mis en évidence les neurones « miroirs » comme véhicule de ce langage non verbalisé qu’est l’empathie les aient surnommés les « neurones Gandhi ».

Avons-nous effectivement deux cerveaux, comme le laisseraient supposer certaines observations sur la préséance de l’amygdale cérébrale sur le cortex dans certaines réactions émotionnellement fortes ? Avons-nous un cerveau analytique (et pratique) coexistant avec un cerveau émotionnel, ce dernier stockant dans un inconscient collectif ou individuel les langages réflexes hérités de la survie dans les sociétés primitives d’une part (comme la peur), et la prégnance de souvenirs émotionnels prêts à ressurgir ?



 
L’empathie 

Explorons quelque peu ce langage primitif qu’est l’empathie, dénominateur commun de nos intelligences émotionnelles et sociales.
L’empathie reste un sujet de débat entre les tenants d’une capacité qui peut se mesurer et les tenants d’un langage hérité des sociétés primitives – notre préférence, tant elle nous semble influencer la capacité des dirigeants à enrôler leurs équipes.

Au travers des mécanismes de l’empathie, de manière théorique, et ensuite avec le support récent des neurosciences de chercheurs tels que Giacomo Rizzolatti, nous pouvons deviner le rôle des formes de langages de l’empathie dans les postures du dirigeant. Ce langage intervient dans un premier temps dans l’émergence et dans la maîtrise de son intelligence émotionnelle, avant de se généraliser dans son intelligence sociale.

L’empathie est une langue très ancienne – donc non verbalisée - enfouie dans notre subconscient collectif. Elle nous permet principalement d’apprendre des autres et de se faire une représentation plus ou moins fiable de ce qu’ils pensent et ressentent.
S’appuyant sur les travaux de Theodor Lipps et de chercheurs anthropologues, Jean-Claude Almeisen propose une excellente « démocratisation » de l’empathie « scientifique ».

Le premier niveau du langage d’empathie (observable chez les animaux) est la capacité à interpréter un état émotionnel ou physique de l’autre en observant son corps.

Le second niveau (observable chez certains mammifères et héritage de la relation mère-enfant) est l’envie d’aider, qui se traduit dans des postures observables. C’est le passage classique de l’empathie à la sympathie.

Le troisième niveau (observable chez les primates et les humains) est la construction mentale de savoir comment aider l’autre en se représentant la situation de l’autre d’une manière pertinente, et en sachant articuler des solutions sur la base de ses propres analogies et inférences. C’est cette dimension qui nous permet probablement de développer un très bon jugement sur les autres.

La combinaison de ces trois niveaux de langage nous ouvre une fenêtre sur l’image des perceptions et des intentions des autres. 


Pas de confiance à l’intérieur de l’entreprise sans empathie 

En se référant à notre article sur la confiance (La Confiance en Entreprise, une Affaire de Leadership), 2 des 4 conditions de l’émergence durable de la confiance en entreprise sont assujetties à la pratique de l’empathie :
  • Avoir le sentiment, le ressenti, d’avoir été entendu et compris
  • Travailler dans un climat social serein (et challengeant), propice à la collaboration (pour la réussite de l’entreprise) 
La capacité à suivre un leader est intimement liée à nos perceptions de la confiance que nous inspire ce leader. Il n’est pas envisageable de suivre un leader, de prendre des risques, de libérer toute son énergie, sans un minimum de confiance en son leader. De son côté, un leader ne pourra conceptualiser et « sentir » cette confiance sans faire appel à son langage empathique ou faire appel à ce qu’Howard Gardner appelle son intelligence intra-personnelle.

Un leader qui a su développer sa pratique de l’empathie démontre deux familles de postures très reconnaissables :
  • Une capacité hors pair à donner un retour sincère et profond (positif et négatif), donc de développer des leaders exceptionnels autour de lui 
  •  Une valorisation de la diversité en général qui lui permet de « voir » les choses du point de vue de l’autre, de promouvoir la coopération et la prise de risque

L’empathie n’est jamais un aveu de faiblesse, mais un levier de surperformance extraordinaire 

La capacité d’un dirigeant à maîtriser son langage empathique ne s’improvise pas. C’est avant tout de la pratique. Mais, une fois maîtrisée, quelle force !
La sérénité dégagée, l’engagement suscité, le climat de confiance développé sont les résultantes de notre empathie dans la pratique de notre intelligence émotionnelle.
L’influence que nous avons sur des équipes, notre sensibilité à capter les non-dits ou des risques non identifiés, et aussi bien sûr notre facilité à créer des collaborations, ce sont également des résultantes de notre empathie dans la pratique de notre intelligence sociale.

Travailler son empathie, et donc son intelligence émotionnelle, est indispensable pour tout leader s’il veut pouvoir jouer sur toutes les dimensions du leadership. Et d’autant plus de nos jours, avec les nouvelles générations. Comment réussir pour le bien-être de tous (hommes et entreprises) sans une forte dose d’empathie ? « Essayez l’autorité ! » seraient tentés de dire certains, se référant à d’archaïques schémas…



Auteurs : Patrick Buffet & Xavier Baudard