Au fil des ans, différentes formes d’intelligence ont été
reconnues et validées par les psychologues et les neuroscientifiques.
Après l’intelligence analytique qui a fait la gloire du fameux QI,
et après l’intelligence pratique, qui a permis de comprendre tout le talent des
artisans ou tous les savoir-faire issus de l’expérience, c’est maintenant à l’intelligence
émotionnelle d’être sur le devant de la scène.
Elle est en effet très à la mode dans les grands groupes
anglo-saxons grâce au travail exhaustif de Daniel Goleman qui a médiatisé la pensée
de David Mc Clelland et est devenu le pionnier de la définition du cerveau
émotionnel.
Pour reprendre, en la déformant, une parabole de Gandhi : «
L’intelligence (analytique) rapproche les solutions des problèmes,
l’(intelligence) émotionnelle déplace les montagnes ». Donc pas étonnant que
les chercheurs en neurosciences qui ont mis en évidence les neurones
« miroirs » comme véhicule de ce langage non verbalisé qu’est
l’empathie les aient surnommés les « neurones Gandhi ».
Avons-nous effectivement deux cerveaux, comme le laisseraient
supposer certaines observations sur la préséance de l’amygdale cérébrale sur le
cortex dans certaines réactions émotionnellement fortes ? Avons-nous un cerveau
analytique (et pratique) coexistant avec un cerveau émotionnel, ce dernier
stockant dans un inconscient collectif ou individuel les langages réflexes
hérités de la survie dans les sociétés primitives d’une part (comme la peur),
et la prégnance de souvenirs émotionnels prêts à ressurgir ?
L’empathie
Explorons quelque peu ce langage primitif qu’est l’empathie,
dénominateur commun de nos intelligences émotionnelles et sociales.
L’empathie reste un sujet de débat entre les tenants d’une
capacité qui peut se mesurer et les tenants d’un langage hérité des sociétés
primitives – notre préférence, tant elle nous semble influencer la capacité des
dirigeants à enrôler leurs équipes.
Au travers des mécanismes de l’empathie, de manière théorique, et
ensuite avec le support récent des neurosciences de chercheurs tels que Giacomo
Rizzolatti, nous pouvons deviner le rôle des formes de langages de l’empathie
dans les postures du dirigeant. Ce langage intervient dans un premier temps
dans l’émergence et dans la maîtrise de son intelligence émotionnelle, avant de
se généraliser dans son intelligence sociale.
L’empathie est une langue très ancienne – donc non verbalisée - enfouie
dans notre subconscient collectif. Elle nous permet principalement d’apprendre
des autres et de se faire une représentation plus ou moins fiable de ce qu’ils
pensent et ressentent.
S’appuyant sur les travaux de Theodor Lipps et de chercheurs
anthropologues, Jean-Claude Almeisen propose une excellente « démocratisation »
de l’empathie « scientifique ».
Le premier niveau du langage d’empathie (observable chez les
animaux) est la capacité à interpréter un état émotionnel ou physique de
l’autre en observant son corps.
Le second niveau (observable chez certains mammifères et héritage
de la relation mère-enfant) est l’envie d’aider, qui se traduit dans des
postures observables. C’est le passage classique de l’empathie à la sympathie.
Le troisième niveau (observable chez les primates et les humains)
est la construction mentale de savoir comment aider l’autre en se représentant
la situation de l’autre d’une manière pertinente, et en sachant articuler des
solutions sur la base de ses propres analogies et inférences. C’est cette
dimension qui nous permet probablement de développer un très bon jugement sur
les autres.
La combinaison de ces trois niveaux de langage nous ouvre une
fenêtre sur l’image des perceptions et des intentions des autres.
Pas de confiance
à l’intérieur de l’entreprise sans empathie
En se
référant à notre article sur la confiance (La Confiance en Entreprise, une Affaire de Leadership), 2 des 4 conditions de
l’émergence durable de la confiance en entreprise sont assujetties à la
pratique de l’empathie :
- Avoir le sentiment, le ressenti, d’avoir été entendu et compris
- Travailler dans un climat social serein (et challengeant), propice à la collaboration (pour la réussite de l’entreprise)
La capacité à suivre un leader est intimement liée à nos
perceptions de la confiance que nous inspire ce leader. Il n’est pas
envisageable de suivre un leader, de prendre des risques, de libérer toute son
énergie, sans un minimum de confiance en son leader. De son côté, un leader ne
pourra conceptualiser et « sentir » cette confiance sans faire appel à son
langage empathique ou faire appel à ce qu’Howard Gardner appelle son
intelligence intra-personnelle.
Un leader qui a su développer sa pratique de l’empathie démontre
deux familles de postures très reconnaissables :
- Une capacité hors pair à donner un retour sincère et profond (positif et négatif), donc de développer des leaders exceptionnels autour de lui
- Une valorisation de la diversité en général qui lui permet de « voir » les choses du point de vue de l’autre, de promouvoir la coopération et la prise de risque
L’empathie n’est
jamais un aveu de faiblesse, mais un levier de surperformance extraordinaire
La capacité d’un dirigeant à maîtriser son langage empathique ne
s’improvise pas. C’est avant tout de la pratique. Mais, une fois maîtrisée,
quelle force !
La sérénité dégagée, l’engagement suscité, le climat de confiance
développé sont les résultantes de notre empathie dans la pratique de notre
intelligence émotionnelle.
L’influence que nous avons sur des équipes, notre sensibilité à
capter les non-dits ou des risques non identifiés, et aussi bien sûr notre
facilité à créer des collaborations, ce sont également des résultantes de notre
empathie dans la pratique de notre intelligence sociale.
Travailler son empathie, et donc son intelligence émotionnelle,
est indispensable pour tout leader s’il veut pouvoir jouer sur toutes les
dimensions du leadership. Et d’autant plus de nos jours, avec les nouvelles
générations. Comment réussir pour le bien-être de tous (hommes et entreprises)
sans une forte dose d’empathie ? « Essayez l’autorité ! »
seraient tentés de dire certains, se référant à d’archaïques schémas…
Auteurs : Patrick Buffet & Xavier Baudard